Patrick Estrade
Psychologue - Psychothérapeute - Ecrivain - Conférencier
 
Adeli 06 93 12 155
Retour
Pour qui tu te prends ?

Il y a la théorie et il y a la pratique. D'un côté, les médias qui vous assènent à longueur d'années la nécessité d'être battant(e), de vous affirmer, de prendre votre place, qui vous affichent en première de couverture des Bernard Tapie, des Zizou et autres Gérard Depardieu pour les hommes, des Patricia Kaas, des Sophie Marceau ou des Martine Aubry pour les femmes. D'un autre côté (le nôtre en général), il y a le cruel constat de la difficulté à se mettre en avant, à se faire valoir, bref, à prendre toute sa place. Mais comment prendre sa place quand on ne sait pas très bien où elle est ?

La plupart du temps, on va essayer de voir comment font les autres. Et là réside la première erreur. Car en fait, on ne va pas voir comment ils font mais on va se comparer. En effet, qu'on le veuille ou non, le premier réflexe n'est pas de regarder mais de se comparer. Le second réflexe - et en même temps la deuxième erreur - c'est de tomber immédiatement dans l'excès des comparaisons. Car en même temps qu'on veut se comparer, on veut se défendre. Nous allons donc prendre en exemple des personnes autour de nous, qui certes affichent une assurance de soi à toute épreuve, mais dont nous détestons intimement l'orgueil et l'exagération outrancière de comportements (Comment peut-on s'afficher ainsi ? Comment peut-on étaler avec autant de morgue son savoir ? Traduisez : Comment peut-on être aussi puant d'orgueil ?).

Quelque chose d'un peu "sexuel"

Oui, la personne démonstrative, extravertie, exubérante gêne. Elle gêne car il y a quelque chose d'un peu viril, si vous voulez, d'un peu "sexuel" dans son comportement. D'un point de vue psychanalytique, cela s'explique par le fait que s'affirmer, c'est revendiquer le pouvoir de soi, en d'autres termes, le phallus. C'est probablement pourquoi si notre société, jusqu'à présent, a pu tolérer l'affirmation de soi chez l'homme, elle a eu très souvent tendance à la condamner ou à la réprimer chez la femme.

À quoi tient la difficulté de prendre sa place ? A priori, elle tient classiquement à deux causes.
La première nous renvoie à notre propre éducation. Nous avons pu avoir dans notre enfance des parents extrêmement autoritaires qui nous auront réduit au rang de fourmi, ou qui étaient eux-mêmes si discrets, si timides, si effacés, si inhibés qu'ils nous ont communiqué leur peur du monde, ou encore, qui étaient si symbiotiques, si retirés du monde, qu'ils nous auront tout simplement appris à vivre en vase clos.
La seconde nous renvoie à la société, qui paradoxalement nous demande d'être des adultes responsables, volontaires et audacieux, mais qui, en même temps, nous pousse en douce à ne pas faire de vagues, à ne pas aller à contre-courant de l'ordre établi, à ne pas déranger : Si tu es sage, si tu restes bien tranquillement dans ton petit coin, tu auras une récompense (laquelle ?).

La lâcheté n'est jamais une cause, c'est une conséquence !

Mais au-delà de ces deux réponses somme toute assez classique, existe une troisième raison. Il s'agit de notre propre orgueil. Comment, me direz-vous ? Orgueilleux (orgueilleuse), moi qui suis si réservé(e) ? Je vais vous expliquer :
Je différencie deux types d'orgueil. Il y a celui que nous connaissons tous et dont je parlais tout à l'heure, avec son cortège d'exagération outrancière de comportements. Je l'appellerai "orgueil moral" Et puis, il y a cet autre orgueil, beaucoup plus discret, que j'appellerai "orgueil psychologique" et qui consiste paradoxalement dans l'attitude d'effacement de soi.
"Mais en quoi se rabaisser ou s'effacer relèverait-il de l'orgueil ?", objecterez-vous. J'appelle orgueil, non pas le fait de se rabaisser, mais le fait de suggérer par cette attitude que je suis différent(e) des autres, que j'ai une place à part. Et ça, c'est précisément de l'orgueil ! Par crainte de ne pas faire le poids face au jeu de la vie, je choisis de m'effacer. Vous voyez, nous avons dans ces deux formes d'orgueil les deux extrémités d'un même système.
La difficulté de prendre sa place est presque toujours interprétée - à tort - par la personne qui en souffre comme un signe de lâcheté, ce qui la conduit à s'en culpabiliser et à en souffrir doublement. En fait, il s'agit ici aussi d'une interprétation erronée. La lâcheté n'est jamais une cause, elle est une conséquence. En d'autres termes, ce n'est pas la lâcheté de la personne qui l'empêche de prendre sa place, c'est le fait de ne pas prendre sa place qui la rend pusillanime.
Il faudrait revenir au sens premier du : "Pour qui tu te prends !" cher aux parents répressifs "bousilleurs" d'enfants, et accepter enfin de se prendre pour qui l'on est. Car, se prendre pour quelqu'un, cela veut dire : je suis un homme ou une femme de bonne réputation, je compte dans la vie, je vaux quelque chose, j'ai mon destin à accomplir sur cette terre et, en cela, je ne suis pas différent(e) des autres. Prendre sa place n'est pas un acte d'incivilité, c'est un devoir civique. La société se développera mieux si chacun accepte de donner sa pleine mesure. À chacun de nous de donner la sienne. Et ça, c'est bien le contraire de l'orgueil.
Copyright © Francis mise à jour du 14 Mai 2020