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Les pères découpent le poulet, réparent les pneus crevés des bicyclettes, rangent les bagages dans la voiture quand on part en vacances, ouvrent les lettres urgentes en fronçant les sourcils, lisent des choses importantes dans les journaux et les magazines, font sauter eux-mêmes le bouchon de la bouteille de champagne -véritable bâton de dynamite- dans les grandes occasions. Les pères rendent la justice tel Salomon, font justice eux-mêmes tel Zorro ou Superman, font entendre raison aux forts et protègent les faibles et les sans-défense.
Les pères sont investis de l’autorité suprême (“Attends que ton père rentre, tu vas voir ce que tu vas prendre!”), le châtiment, lorsqu’il est prononcé est sans appel (privé de télé, ou de vélo, ou d’ordinateur, ou d’argent de poche, ou de sortie !). Préservateurs des sanctions salvatrices de l’équité familiale, bourreaux exécutant leur charge sans y mettre le coeur et même souvent contre leur gré, distribuant, contrits et humiliés par le dégoûtant recours à la violence, les “baffes pseudo-éducatives” et les coups de pied au c... tout aussi peu pédagogiques. “Dans une interview, Henri Miller décrivait ainsi la scène : J’avais été insupportable toute la journée au point que ma mère en avait été excédée. Lorsque mon père rentra du travail, ce soir-là, elle lui dit que je méritais une correction. A voir son air, je compris que la tâche humiliante qu’on lui demandait ne lui plaisait guère. Aussi, lorsqu’il me frappa, je fis semblant d’avoir mal et me mis à hurler de toutes mes forces. J’espérais que cela le consolerait. Il n’était pas homme à distribuer des taloches à qui que ce soit. Et encore moins à son fils. Aussi, collaborai-je dans la mesure de mes moyens”. Et il ajoutait, comme pour nous donner un clin d’oeil : “Les enfants bien élevés sont peut-être d’un commerce agréable, mais ils font rarement des hommes et des femmes remarquables”. Prenons-en bonne note.
On est du même sexe, ça rend les choses plus faciles
Hormis les tranches de caricature de vie que j’énonçais précédemment, les choses entre un père et son fils sont assez simples. On est du même sexe, ça rend les choses plus faciles. Pas de détours, ni de contours, on va direct. Avec les filles on a scrupule : suis-je en train de faire bien ? Suis-je à côté de la plaque ? Plus tard, avec les femmes, ce sera pareil. Avec le fils, le mode d’emploi sera pour l’essentiel le même que pour nous, le père. Il sait ce qu’il veut et il le dit. Sans trop de discours. Car la communication verbale, ce n’est pas trop notre truc. Penser à ce qu’on éprouve, puis l’exprimer, le ré-exprimer comme pour en éprouver le plaisir une fois encore, c’est un exercice dans lequel les femmes excellent, tant elles sont en phase avec leur énergie intérieure, mais auquel nous, on n’est tout simplement pas rompu. Par contre, mettez-nous devant l’action, une tâche à remplir, un réveil à réparer, une planche à recoller, là on est à notre affaire. Personnellement, chaque fois que j’entreprends quelque chose avec mon fils, je suis honoré du titre de “super-papa”. Et je sais que ce n’est pas du bluff, qu’il le pense vraiment.
Les pères, ça enseigne le respect des choses et ça enseigne à faire des bêtises
Les pères avec leurs fils, ça représente tout à la fois l’autorité et le respect des choses et, paradoxalement, ça enseigne à faire les bêtises, à commettre des petites folies, à oser des choses impossibles que la mère ne voudrait pour rien au monde tolérer par peur des conséquences (“Non mais, vous êtes tombés sur la tête ?”). En un mot, ils apprennent à transgresser, mais pas n’importe comment, pas comme une brute. Non, tout en douceur, vous savez, un peu comme Georges Brassens dans ses chansons. Malicieusement, mais affectueusement.
Plus tard, lorsque l’enfant sera ado, les luttes seront rudes. Les reproches aussi. Le père sera responsable de tout : Tu n’étais jamais là quand j’avais besoin de toi. On ne pouvait rien te demander. Tu étais toujours fatigué. Avec toi, il était impossible de parler. Évidemment, face à toute la tendresse de la mère, le père bourru et malhabile, souvent ne peut pas faire le poids. C’est à la même période que le fils se découvrira une honte d’avoir un père aussi petit, aussi ringard.
Plus tard encore, lorsqu’il sera un jeune homme adulte, si tous deux ont su tisser les liens d’une solide complicité, ils se rapprocheront à nouveau. Face aux immenses problèmes sentimentaux de son fils, le père se sentira dépourvu, il essaiera de fouiller au fond de sa mémoire ou de son expérience pour lui témoigner de ce que la vie lui a enseigné sans parvenir à sortir quelque chose de cohérent car l’amour lui est resté un mystère entier. Le fils l’aimera d’être aussi faible et le maudira de n’être pas ce dieu infaillible qu’au fond de lui-même il a toujours espéré. Ce n’est que plus tard, lorsque le fils deviendra père lui-même qu’il s’apercevra que le métier de père est un métier ingrat. Pour ma part, j’ai bien failli mourir de rire lorsque j’ai lu chez André Birabeau : “Lorsqu’un homme commence à soupçonner que son père avait peut-être raison, c’est généralement que son propre fils commence à lui donner tort”.
Allez, la fête des pères est bientôt là. Profitons-en pour prendre une bonne brassée de tendresse masculine. Nos fils nous y invitent à leur façon. |